Burkina Faso: cri de femme

Burkina Faso: cri de femme

Cour royale de Tiébélé, au secours d'un chef d’œuvre picturale

Cour royale de Tiébélé, au secours d'un chef d’œuvre picturale

Une école, un puits, un forage, une mosquée, des poules, des vaches et des moutons, des enfants toujours aussi souriants, des femmes sublimes au regard conciliant, les hommes occupés à jouer aux cartes autour d’un cabaret, tel est l’image que nous a offert le village de Tiébelé en cette matinée du 10 juin 2011. Situé à une trentaine de kilomètres à l’est de Pô, non loin de la frontière ghanéenne, Tiébélé est l’une des destinations touristiques les plus prisées du Burkina. Avec sa cour royale et son architecture traditionnelle, soigneusement décorée par les mains expertes des femmes Kasséna, ce petit coin de Paradis attire chaque année entre 300 et 500 touristes. Visite guidée des vestiges des pratiques culturelles qui ont traversé le temps et perdurent jusqu’à nos jours.

 

Le jour se lève tout doucement dans la cour royale de Tiébélé et la vie qui avait suspendu son cours le temps d’une nuit, reprend peu à peu ses droits. Coups de balaies, mortier qui tonnent, cris d’enfants, chants de femmes et réunion de notables  devant la grande entrée du palais. A part les poteaux électriques qui traversent le village signe d’une certaine modernité, l’on se serait cru au 16ème siècle, aux premiers jours du règne de Buinkiété, fondateur du royaume Kasséna. Aujourd’hui, la cour royale de Tiébélé constitue un témoignage exceptionnel des traditions Kasséna, avec ces 58 ménages soient une population d’environ 450 personnes.  

 

Une architecture symbolique

 

Situé au pied d’une colline, dans un paysage de plaine, le palais royal forme un espace circulaire irrégulier d’environ 1,2 hectare. Au niveau de l’entrée principale, se distingue le «Pourrou», butte sacrée où sont enterrés les placentas des nouveau-nés mis au monde dans la cour. Selon notre guide, Mission Yssouf, c’est depuis son sommet que celui qui tape le tambour vient annoncer les nouvelles aux habitants du village. A l’intérieur, la cour est divisée en plusieurs domaines précis, composées de concessions juxtaposées, où vivent les familles. L’architecture y est défensive, elle est destinée à protéger ses habitants. Pour ce faire, elle est entourée par de hauts murs de clôture reliés aux murs des habitations, l’ensemble formant une enceinte difficilement franchissable.  Pour atteindre les habitants, l’ennemi devait pénétrer dans la case en s’accroupissant, puis en introduisant sa tête dans un milieu obscur, s’exposant donc grandement.  

Les cases elles aussi, ne disposent que d’une ouverture conçue de manière astucieuse pour garantir la protection. Très basse, moins de 80cm et de forme semi-circulaire, l’entrée est immédiatement suivie à l’intérieur d’un petit muret. L’apparente simplicité des formes architecturales observées dans chaque concession, dissimule la remarquable fonctionnalité des lieux et leurs significations symbolique et sociale. Ainsi, dans une concession, on peut retrouver le «draa», case ronde à toiture de chaume. Elle est destinée au célibataire.

Le «dinian», la case en forme de 8, aussi appelée «maison mère». Elle se compose de deux pièces, une cuisine, une chambre et une pièce d’accueil à ciel ouvert. Elles sont censées abritées l’esprit des ancêtres. Les jarres sacrées, les fétiches, les nattes des morts y sont gardées. Le «mangolo», la maison rectangulaire. Elle est réservée aux jeunes mariés.

 

Chef d’œuvre picturale

 

De la collecte des matériaux, leur préparation, puis leur application en couche successives, chaque étape de la pratique des décorations murales demande une attention particulière pour que le meilleur résultat soit obtenu. Traditionnellement, les femmes Kasséna utilisaient de la latérite rouge, de l’argile boueuse, de la bouse de vache, du gluant, du graphite,  du kaolin, de la cendre et de la décoction d'écorses de néré. Ces matériaux étant devenus rares, donc chers, «nous nous sommes mis à utilisé le goudron et le pétrole dans la réalisation de nos peintures» a expliqué Asseta Nassané/Idogo, la secrétaire général du groupement des femmes peintres à Tiébélé.

Selon elle, la réalisation des fresques picturales répond à un besoin. «Dans la tradition Kasséna, c’est l’homme qui s’occupe de la construction de la maison. Après cela, il appartient à la femme de réaliser les fresques picturales». Aux dires de cette artiste qui s’est mis à peindre en 2006, la qualité relativement médiocre des terres disponibles dans la zone, nécessitant une protection plus particulière, la femme doit prendre soin de sa maison afin que celle-ci ne tombe pas. C’est de là qu’est venue la culture de la peinture de la maison.

De nos jours, c’est «maman Kayé» qui est la détentrice de cet art. Chaque année, juste avant la saison des pluies, les femmes procèdent collectivement à la décoration murale de leur case. Afin donc de préserver cet art, un festival a été initié. Généralement organisé à la fin des récoltes pour remercier  les mânes des ancêtres, l’évènement majeur  de cette rencontre, le «faa can dia», est le festival des femmes peintres de Tiébélé. A travers une organisation rigoureuse, elles exécutent des travaux de décorations, afin d’initier les plus jeunes aux pratiques des fresques picturales. Cette rencontre annuelle a permis depuis plusieurs années d’entretenir la cour royale de Tiébélé. Mais de nombreux aléas climatiques, mais aussi sociaux fragilisent l’équilibre des lieux.

 

«Si rien n’est fait dans 25 ans, Tiébélé, tel que nous le connaissons n’existera plus»

 

C’est le cri de cœur que nous a lancé le maire de Tiébélé, Kirawi Pascal Batinan. «Je lance un plaidoyer auprès du ministre de la culture afin que quelque chose soit fait pour préserver les vestiges de cette civilisation, afin que Tiébélé la multicolore ne disparaisse pas au profit d’une architecture plus moderne. Nous avons demandé à ce que l’on introduise le village ou même la cour royale au patrimoine mondiale de l’UNESCO, et depuis le gouvernement ne nous fait plus signe. Nous en sommes même à nous demander si le ministère considère cette richesse en tant que telle, parce qu’à mon avis, il n’y a pas au monde, une autre culture où des femmes réalisent de si belles fresques murales, l’architecture de Tiébélé est unique au monde », s’est-il écrié.

Ce SOS, M. Batinan n’est pas le seul à le pousser. En effet, il rejoint celui des différentes associations et des fils et filles de la région qui œuvrent pour le développement de la culture de leur village.  Tout comme le maire de sa commune, Yssouf, guide touristique, espère que son village sera inscrit au patrimoine mondiale tout comme le sont les ruines de Loropénie. «Cela fait plus de 20 ans que je suis guide à Tiébélé et nous rencontrons de plus en plus de problèmes, dues à la poussée démographique, la topographie accidentée de la cour royale qui accentue les phénomènes d’érosion des sols et entraine des inondations… ».

Malgré tout, grâce au travail de réfection  des enduits de la cour royale, aujourd'hui, Tiébélé «renaît» grâce à cet art architectural ancien. L'activité touristique y est en plein essor. La ville accueille en moyenne entre 25 et 50 touristes par jour générant entre 2 et 3 millions de recettes annuelles. «Grâce au tourisme, on a pu freiner l'exode rural», reconnaît le maire. De même, de jeunes Kassena s'adonnent au commerce d'objets artistiques aux alentours du palais royal (masques, pipes, calebasses décorées,bijoux en ébène...). Les femmes de Tiébélé parcourent le monde (Chine, Paris, ...) pour exposer leurs talents. « C'est la preuve qu'il y a une compétence derrière qu’il faut encourager et soutenir », a-t-il conclut.

 

 

 

 



13/07/2012
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