Burkina Faso: cri de femme

Burkina Faso: cri de femme

Affaire Justin Zongo Etat des lieux, un an après…

Affaire Justin Zongo

Etat des lieux, un an après…

 

Il y a un an, Justin Zongo, un jeune élève de Koudougou (localité située à une centaine de kilomètres de Ouagadougou) est convoqué au commissariat de police de sa ville pour répondre à une altercation survenue entre l’une de ses camarades de classe et lui. S’ensuit alors une série de convocations pour l’élève. Le 20 février 2011, ce dernier meurt dans des circonstances troubles. L’évènement déclenche alors une série de révoltes dans le pays… 

 

 

 

Février 2011. La jeune Ami Zongo et son voisin de classe, Justin Zongo, tous deux élèves en classe de troisième au collège Gesta Kaboré de Koudougou, ont une altercation. Frustrée, la jeune fille s’en plaint à l’administration du collège qui sanctionne le jeune homme. Toujours en colère, Ami Zongo convoque son protagoniste au commissariat de police de la ville. Quelques jours plus tard, ce dernier meurt. «Des suites de coups et blessures portés par des policiers», affirment ses camarades. Le lendemain, 21 février, en début de matinée, démarrent les premières manifestations. Aujourd'hui, un an après ces terribles évènements, élèves, étudiants et amis de Justin Zongo se souviennent de leur lutte pour la justice dans la troisième ville du Burkina Faso, où la tension est redescendue.  

 

 

Les dessous de l’affaire Justin Zongo

Samuel Zongo a repris le chemin de l’école. Aujourd’hui en classe de seconde, il se rappelle des évènements qui ont conduit à la mort de son camarade de classe. Délégué général adjoint du Collège Gesta Kaboré – il était délégué général de l’établissement au moment des faits – il était au départ des manifestations des élèves à Koudougou pour réclamer justice pour Justin Zongo. En plus d’être son ami, ce dernier était aussi le délégué à l’information du collège.

«Justin était un jeune qui aimait la vie, il était premier de la classe. Nous travaillons souvent ensemble, car il était ouvert et serviable», raconte-t-il. Beau visage fatigué, yeux rougis par les souvenirs de la perte de son ami, Samuel Zongo retrace les derniers jours de son camarade. Il y a eu beaucoup de versions, mais étant son délégué et aussi son voisin de classe, «je peux vous relater les faits tels qu’ils se sont passés et tel que Justin lui-même nous les racontés». Ainsi, tout a commencé par une altercation en classe entre Ami Zongo et Justin. Les deux se sont rendus dans le bureau des responsables du collège afin d’en découdre.

«La sentence de nos garants n’a pas dû plaire à Ami puisqu’elle est allée se plaindre au commissariat de police de  Koudougou», précise le délégué adjoint. Ami Zongo est donc revenue à l’école avec une convocation et une ordonnance d’une valeur de 3 000 F FCFA à remettre à Justin. «Je me souviens que l’un de nos professeurs s’est porté garant pour cette somme, mais notre camarade tenait absolument à ce que ce soit Justin qui la dédommage. C’est ainsi qu’il a pu effectuer un premier versement de 2 000 F CFA en attendant», affirme Samuel Zongo. Il n’a jamais eu l’occasion de payer la totalité de la somme. Les policiers sont venus chercher Justin Zongo une première fois à l’école pour lui intimer, avec brutalité, l’ordre de payer les frais d’ordonnance.

Des confidences de Ami ce jour-là, il revient qu’elle a dû supplier les policiers de relever Justin Zongo qui était couché face contre terre. Mécontent du traitement qu’il a subi (il a eu la lèvre supérieur déchirée suite aux coups qu’on lui a administrés, selon Samuel), Justin Zongo a décidé de porter plainte contre l’officier et ses assistants qui l’ont malmené. Quelques temps après, les mêmes policiers sont encore venus chercher le jeune homme, cette fois-ci par la force. «Justin les suppliait de ne pas l’amener», ajoute son voisin de classe. Ce n’est que 72 heures après avoir été amené de force qu’il est revenu en cours. «Sa lèvre supérieure était toujours enflée. Il a pris un billet de sortie et quand il a quitté l’établissement, il n’est plus jamais revenu, jusqu’à ce qu’il rende l’âme, le 20  février aux environs de 22 heures».

La suite de l’histoire, on la connaît. Les élèves sont d’abord sortis nombreux le 21 février pour exprimer leur mécontentement. La manifestation a été réprimée et, le lendemain, ce sont les étudiants qui s’en sont mêlés. Francis Nikièma, président de la Coordination des élèves et étudiants de l’Association nationale des élèves et étudiants du Burkina Faso (Aneb), section Boulkiemdé, s’en souvient: «Il faut noter qu’il s’agit d’une lutte contre l’impunité et, ce faisant, pour la justice. La répression de la manifestation des élèves a touché toute la société. Des étudiants qui étaient en cours au Lycée provincial ont été pris pour cible», déclare-t-il aujourd’hui. Cette colère et la violence de la répression ont créé un sentiment d’injustice dans la ville».

 

 

               Effigie de Maurice Yaméogo

 

La vie a repris à Koudougou

Un an après ces événements, les coupables de la mort de Justin sont en prison et le traitement judiciaire des dossiers connexes à l’affaire est bien avancé. Et si la vie a repris son cours normal dans la ville, les élèves et étudiants, qui portent des avis plutôt mitigés sur le dossier, n’attendent pas moins la satisfaction de leur plateforme revendicative. Cette plateforme concerne, entre autres, les dossiers connexes à l’affaire Justin Zongo. L’on se souvient que la marche des élèves et étudiants de la ville de Koudougou, les 22 et 23 février 2011, a causé la mort de six personnes et occasionné 208 blessés, dont 28 étudiants, 40 élèves, 54 gendarmes, 53 policiers et 33 autres personnes appartenant à diverses catégories socioprofessionnelles.

Ainsi, pour commémorer le premier anniversaire de la mort de leur camarade et lui rendre hommage, les élèves et étudiants de Koudougou ont observé une grève de 48 heures, du 20 au 22 février 2012. Ils ont également initié une marche en direction du haut-commissariat de la ville. Ils se sont par ailleurs félicité, dans une déclaration datée du 17 février 2012, de la tenue du procès sur l’affaire Justin Zongo et de la condamnation des coupables qui sont, selon eux, «le résultat de notre mobilisation et de notre détermination exemplaires».

 

 

Nagoubzanga Zongo, père de Justin Zongo

«Mon enfant est mort et on connaît ceux qui l’ont tué; que demander de plus

 

«Justin était le benjamin de sa mère. C’était un enfant sans problème et studieux qui respectait ses parents. Je me souviens qu’avant sa mort, il est venu ici avec des blessures sur le visage et sur le corps, mais il ne m’a jamais dit qu’il a été frappé. Il m’a raconté une histoire selon laquelle il serait tombé de vélo. C’est quand son état de santé a empiré qu’il a avoué à son frère, sur son lit d’hôpital, avoir été frappé par des policiers.

Certes, nous avons gagné le procès mais qu’est ce que cela signifie pour moi? Gagner ou perdre ne fera pas revenir mon fils. Alors, quand on m’a parlé d’argent, j’ai refusé. (Le père de Justin Zongo a refusé de toucher les dommages et intérêts auquel la famille Zongo avait droit, Ndlr). Mon fils a été frappé jusqu’à ce que mort s’ensuive. Si c’était un accident, nous aurions pu récolter l’argent de l’assurance; mais là il s’agit d’une affaire qui ne regarde que ses bourreaux et Dieu. Je ne peux pas quand même pas demander à ce qu’on les tue en retour…

Mon enfant est mort et on connaît ceux qui l’ont tué; que demander de plus? Aucune somme sur cette terre ne pourra le ramener. Saviez-vous que Justin était plus âgé que le policier qui l’a frappé? Je pense que si ce n’était pas à cause de la tenue militaire, mon fils aurait pu le battre en duel. Mais il est mort et j’ai beaucoup d’autres enfants qui m’entourent. Je n’ai qu’un regret, c’est qu’aucun membre du gouvernement n’ait fait le déplacement pour s’excuser ou même se recueillir sur la tombe de mon fils jusqu’à ce jour.»

 

 

Un an après la disparition de Justin Zongo

Les sentiments de quelques proches

 

Hamed Walbeogo, président de l’Association des scolaires de Koudougou (ASK)


«La mort de notre camarade Justin Zongo a bouleversé l’ordre social du Burkina Faso pendant un temps. Pour nous, habitants de Koudougou, c’est l’occasion de rappeler nos autres revendications, notamment les dossiers connexes à cette affaire, qui ne sont pas tout à fait résolus. En effet, si les cas de Mohamed Zoubga et d’André Dabiré, morts à Poa (environ une trentaine de kilomètres de Koudougou, Ndlr) et le dossier de notre camarade Michel Bouda, tué à Kindi (petit village de Koudougou, Ndlr) sont presque clos, les procès  Aboubakar Assad Ouédraogo, Wend-Kuuni Kissou et Issa Bado, trainent encore. Il faut que justice soit rendue le plus tôt possible. Donc, en ce qui nous concerne, la réflexion se poursuit, car nous avons soif de justice. Nous attendons que ces problèmes d’impunité soient réglés, surtout en ce qui concerne le milieu scolaire.»

 

Samuel Zongo, délégué adjoint du Collège Gesta Kaboré (l’école de Justin Zongo), voisin de classe de Justin Zongo

«Justin Zongo était le délégué à l’information et nous étions aussi voisins de classe. C’était un jeune qui aimait la vie et qui nous racontait des blagues. De plus, il était premier de la classe. Il est difficile de ne pas penser à lui alors que nous célébrons le premier anniversaire de sa mort. Etant dans la même classe, j’ai pu suivre de bout en bout ce qui s’est passé. De sa bagarre avec Ami Zongo jusqu’à sa mort le 20 février aux environs de 22 heures. Ce que je retiens, c’est son visage déformé par la déchirure de sa lèvre supérieure et son incapacité à suivre les cours quand il est revenu après que des policiers soient venus le chercher de force ici, au collège Gesta Kaboré. Il a pris un billet de sortie et n’est plus jamais revenu.

Mais ce qui est bien, c’est qu’un procès ait pu avoir lieu sur cette affaire, après toutes les manifestations qui ont suivi sa mort. Même s’il ne s’agit pour moi que d’une enquête superficielle qui avait pour but de nous calmer. Il y a beaucoup d’autres  dossiers qui attendent. La justice y reviendra peut-être; nous restons à l’écoute et attendons de voir ce que le gouvernement fera de notre plateforme revendicative.»

  

Françis Nikièma, président de la coordination des élèves et étudiants de l’Aneb, section Boulkiemdé

«Il y a un an, nous nous sommes solidarisés avec les élèves dans la lutte pour que la lumière soit faite sur la mort de Justin Zongo. De cette lutte, il y a un acquis aujourd’hui puisque, pour une fois dans l’histoire de la justice burkinabè, il y a eu un procès sur un crime commis sur un scolaire. Même si les appréciations divergent au niveau du verdict.

Pour nous, ce ne sont pas tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire qui ont répondu en justice. Il a eu certes les policiers qui ont commis le forfait, mais il y a aussi ceux qui ont contribué en actes et en paroles. Nous savons que quand Justin Zongo a été torturé au commissariat, il a porté plainte au niveau de la justice et il n’y a eu aucune suite. De même, quand il a été reçu à l’hôpital, beaucoup de personnes ont tout fait pour dire qu’il est décédé de méningite. Il est vrai que les médecins ont été entendus, mais des personnes comme le ministre de la Santé de l’époque, Seydou Bouda, qui a renchéri cette thèse de la méningite lors d’une mission gouvernementale à Koudougou le 22 février, doivent répondre de cela. Nous attendons tout naturellement que tous ceux qui sont impliqués en actes ou en paroles répondent devant la justice.» 



11/06/2012
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